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JULIEN MIGNOT — PHOTOGRAPHE
28 mai 2011

MARS 2011

Ce que l'on voit en sortant de l'aéroport la nuit, ce sont les bidons qui pavent l'entrée de la ville. Ce sont les rickshaws bicolores qui sont le siège des nuits de leurs propriétaires, quand la ville, elle, ne dort jamais, juste à côté, toute en chantier.
A Bombay, je regarde l'horizon noir qui se limite aux candélabres faiblards du trottoir défoncé. Les chiens errent et se ressemblent dans leur déviance métonymique, d'un tas d'ordures à l'autre. Derrière la lumière bleue, je n'avais pas reconnu une maison, devant dorment des hommes, figés sur une chaise en plastique, trône de leurs rêves.

C'était en arrivant à Bombay. Première étape de mars où je n'ai passé que quelques jours à Paris. Plutôt que d'écrire sur ce mois-là aujourd'hui depuis Paris, je reprends mes notes. Elles collent au sujet. En tout cas j'en ai l'impression. Elles sont désordonnées, ne trouvent plus le même échos que lorsque j'écrivais. Mais elles sonnent juste avec l'impression qu'il me reste presque deux mois plus tard. Je n'ai toujours pas pris le temps nécessaire pour retomber sur mes pieds, et je ne sais toujours pas si ces photographies m'appartiennent.

L'Inde ne laisse pas indemne. Le voyage m'effraie, mais ce n'est pas une peur consciente. Je me rends compte que je ne voyage pas, mais que je vis ailleurs. Sans les formalités frontalières, l'avion est un métro sans rail, et Bombay la prochaine station. J'ai pris l'habitude de photographier sur le pas de ma porte et je ne fais que prolonger cette manie à l'étranger. Le voyage nous remet en face de soi. C'est la seule différence. Il n'y a plus de béquilles. Ces images d'Inde me semblent ne jamais avoir existé.

J'ai du mal à photographier en ce moment.

Je pense beaucoup, et j'arrive à des conclusions incroyables : comme j'arrive dans mon appartement, je me dis que quelque soit le voyage, on finit toujours à pied.

Photographier c'est parfois laisser une chance aux rêves fugitifs de se fixer et de ne plus appartenir qu'au passé.

Les rideaux tirés de ma chambre d'hôtel laissent filtrer la ville et sa forme molle, endormie sur ses oreillers de sodium scintillant. J'ai choisis une musique adéquate, ultime résilience de nos repères dans l'hostilité de la nouveauté d'un lieu anonyme, à l'échelle d'un pays, d'une ville ou d'une chambre d'hôtel, que nous devons investir pour un temps donné.

Perché à Webdeh, le son de downtown dévale la pente à l'envers. En fonction des accointances sonores, les cris des enfants surpassent souvent le bruit sourd du trafic. Et quand les muezzin prennent la relève, la ville vibre. Le son est un guide pour le regard qui le cherche et qui rebondit de colline en colline. Le murmure frontal des façades saute aux yeux. On croirait pouvoir le toucher. La distance n'existe pas, elle devient un écran en mosaïque qui trompe l'œil. On sait seulement qu'en face se tient le miroir de notre promontoire.

J'ai trempé mes mains dans la mer Morte, et le sel est devenu l'huile sur ma peau. J'ai regardé le ciel tomber dans la mer les bras ballants.

La connaissance d'un espace, je veux dire se l'approprier, ne passe pas seulement par apprendre sa géographie. L'étranger c'est celui qui croit connaître le poids de l'air que les gens respirent.

A 16:30 je partageais l'intimité d'une villa qui flanque la ville sur une colline agréable. Respiration calme. En paix. A 19:30 je partageais l'intimité de la famille du premier martyr jordanien, au centre d'une foule compacte venue réclamer la vérité. A 0:30 je partageais l'intimité d'un taxi anonyme, consumant en silence une cigarette avec le chauffeur, toisant la Lune, la même que celle qui se coucherait à Paris dans quelques heures, un croissant croisant l'aurore au moment où les chants des oiseaux anticipent le jour et nous rappellent qu'il est déjà trop tard pour trouver le sommeil.


— ALBUM MARS 2011 —

 

MARS2011-026MARS2011-136

 

ORCHESTRE :::::::::::::

Future Pilot A.KA — Nothing Without You (Tery Bina)

The Phœnix Foundation — Eventually & Skeleton

Julia Stone — This Love

Angus & Julia Stone — Big Jet Plane

Cold in Berlin — Total Fear

Henry Goes Dirty — Get my kicks

The Shins — New Slang

Javiera Mena — Hasta la Verdad

Metronomy — She Wants

 

 

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Commentaires
JULIEN MIGNOT — PHOTOGRAPHE
  • Publie régulièrement dans les journaux tels que Libération, Vox Pop ou Le Monde. Photographie la musique, très souvent en version scène ou portrait, en résident à Pleyel ou en passant à la Cigale. Vous verrez surtout ici tout le reste...
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