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JULIEN MIGNOT — PHOTOGRAPHE
14 octobre 2013

ETE 2013

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Comme une rengaine acérée, un refrain sans couplet, l'été s'était teint en une aurore brune et glacée.

Ca a commencé par Arles. Les Rencontres Photographiques, la douce ambiance volontaire qui oscille entre la bienséance prégnante et docile de la promotion personnelle et la dilettante salutaire du Casanis qui dévale les pentes du forum. Ici je revendique ma fonction de photographe au sein de la multitude tout en étant unique et perdu au beau milieu de ce biotope homogène. Le vrai point était de représenter la Jordan Family sur les écrans de la Nuit de l'Année. J'oscillais toujours mais entre être ému, et, un peu, fier.

 

***

 Paris/Bastia

Tranquillement je débarquais, saluant mon homonyme de commandant de bord. Le soleil n'avait pas eu le temps de tomber complètement. Il s'était échoué sur un tapis de nuage rose soir. Je traversais le hall du minuscule aéroport passablement ; allumais un clope et marchais d'un pas tranquille et détaché sur le parking, moi, mon bagage léger et mon avance sur la multitude patientant pour des valises estivales.

Le calme. J'ai ouvert la portière de la voiture. Une odeur dense de magnolias boisés, trace de la chaleur de plomb qui avait sans doute régné sur le parking et sur l'anglaise, s'est échappée. J'humais, je fumais les premiers chariots roulaient sur le parvis sous le soir naissant. C'était un matin après une nuit d'ivresse et d'averses, mais à l'envers. J'ai un rictus, c'est presque snob. Le commandant Mignot m'avait rappelé mes origines à contre courant et j'aimais ça.

 

Le soir est tombé. Lentement. Comme le bitume qui défilait tel un tapis d'aéroport. La route de Solenzara transpirait des fantômes de chaleur. La forêt s'adossait à la route. La nuit recrachait des embruns maritimes de nacre qui s'échouait sur des rives vertes et sombres.

Je suis arrivé dans un village inconnu. Je me suis parqué le long de la route principale en contrebas des terrasses en promontoire. J'ai monté les marches. Le bar entier s'est arrêté. J'ai allumé une cigarette comme mon père m'avait appris pour s'abriter du vent et de la vue en Algérie, en cachant la flamme de l'allumette. Je me suis senti un très court instant l'Etranger de Camus.

Installé je commandais une bière. La route tranchait ces deux remparts qui se faisaient face. De l'autre côté, les bars des touristes. L'altérité sensible passait plus haut, en Corse et en arabe, des pleins et des déliés de gauche à droite. J'ai noyé la lune au levant dans mon demi et je suis parti.

 

 ***

 Sperone regarde les Lavezzis, entre les bateaux depuis les villas. Les bateaux au courant regardent à leur tour les villas. Un balancier pendulaire qui s'active pour passer le temps.

Je n'avais pas vu de ciel sans horizon depuis des lustres. Ici, systématiquement les embruns noyaient la limite, et la mer d'huile débordait sur le ciel dense et mou qui ne touchait plus terre.

 Il y a eu ensuite la lettre sur le bateau. Une lettre longue comme je n'en avais plus écrit depuis que j'avais rompu l'été de mes 16 ans. Je l'adressais d'abord à moi-même. Ensuite c'était une bouteille à la mer pour l'Auvergne et une hypothèse. En l'écrivant je m’émouvais du phénomène basique du soleil qui, si le bateau garde le cap, le dépassera de toute façon.

 

***

Paris/Bayonne

 En m'installant dans le wagon, j'ai tout de suite repéré cette famille (maman, deux fils, deux filles en bas âge) qui s'installait. Nous étions sur un modèle classique se revendiquant plus du bordeaux et du fût de chêne que l'indépendantiste basque pelote sous le bras.

Nous étions dans le cliché parfait. L'un des boy-scouts piaffait. Le comique de situation n'était pas loin.

Ils étaient donc cinq à loger. Pas trop compliqué au vu du format des rejetons. Mouvement vers un carré de quatre qui n'est pas leurs places réservées. Le grand intervient : “Nous n'allons pas, maman, être dérangé après le départ“. Petit short, le cheveu raz très soyeux, haleine Frosties, chaussettes vertes kakis dans chaussures bateau, lunettes épaisses, joues roses. Je le fréquentais déjà au catéchisme, il était en aube dans le chœur pendant la messe. Il n'avait pas vieillit d'un iota. Il existe des styles intemporels.

Il prend très à cœur son rôle intérimaire de chef de famille en devenir. 13 ans mais un sens aiguë de l'observation et du mimétisme autoritaire.

Il ferme la marche en passant la porte après avoir logé les bagages dans l'inter wagon. Elle se referme sur son pied. Il passe une jambe, la porte attaque l'aine et finit par happer l'épaule. Grimace. Je sens que toi, mon gars, t'attaque bien ta journée.

Déballage de sac, les frangines hurlent, la mère agite les bras. On sent qu'un certain respect casanier s'étiole en dehors du domicile.

Erreur de placement. La mer s'est trompée de voiture. Le chef de cordée a les joues qui passent du rose au rouge. Il boue, sa mère est à bout. Il se retient.

Marche arrière gauche. Passage de wagon. Il a retenu la leçon. Et précède sa sœur en lui disant qu'il va porter ses affaires. La déferlante hydraulique de la porte est fatale. En pleine joue. Un carnage à la sauce aime ton prochain comme toi même. Faute Patrick ! L’enfant de chœur ajoute qu'on aurait dû l'écouter. Le serre-tête maternel ne fait qu'un tour, la main un aller/retour. Tout le monde chiale. La dévote m'émeut. Le courage a fuit, la contenance avec, la baffe est partie. Elle me touche dans cet abandon instantané, presque fragile. Pour la peine et la gifle ce sera trois rosaires à confesse. Je pardonne l'enfant, le salue sur les genoux, il lit Jules Vernes, une joue rouge, l'autre rose.

***

Paris/Morlaix

 Ils sont arrivés presque en retard à la gare. Il y avait sa grand-mère qui l'accompagnait. Ils avaient le même menton qui s'avançait, prospectif.

Le garçon avait le cheveu blond paille, encore mouillé de la douche matinale ou de la pluie sans fichu qui tombait à flot ce jour d'août. Il savait bien que sa Mamie le regardait juste là sur le quai quand il s'est installé en face de moi. D'un regard en coin qui répondait au mien, il a remarqué mon attention. Ça l'a rendu gauche. Il disait "Mais bordel arrête de me regarder". Il me le disait à moi, assis juste en face. Il lui disait à sa grand-mère, sur le quai.

Maintenant installé il regardait vers le bas en implorant le départ. Accoudé à la fenêtre, il faisait semblant de ne pas voir la paire de Geox plantait sur le quai et préférait regarder ses pieds.

Il était à l'âge où l'on décide sans le savoir, dans un secret intérieur solitaire, d'un destin à peine balbutiant que l'on ne nomme même pas du bout des lèvres.

 ***

Un vieux couple déjeune sur l'une des tables aménagées de la rive. Tout est calme. C'est un lac pour série noire. Une retenue. Des eaux profondes qui plonge comme la vallée se prolonge. J'ai repensé à ce que disait Marie hier soir : "Le barrage arrête les orages". Elle traduisait la parole des vieux du coin. Le ciel à moitié nuageux témoigne des dires : le ciel est bleu au nord des eaux sombres. C'est l'été. La haute saison. Tout est calme et sourd. Une onde sourde. Une variante fissile du calme. Une harmonie pour orchestre de chambre acoustique. Des rires sonores éclatent pourtant des tables voisines. Le couple se demande si le vieux saucisson est terminé. Il n'y a personne pour ainsi dire. On entend le roulement des voitures sur la rive d'en face.

Tout est calme. Une quinzaine de bateaux flottent dans le faible courant. Des bosquets naissent ça et là. Ils semblent mourir déjà en poussant. Un rondin, radeau sans rame, s'est échoué. J'entends la forêt respirer. Tout est calme comme un 15 août. C'est le silence qui aplatit les eaux sombres. Tout est calme. Le crime serait perpétré avec une pierre lourde sans angles, frappant droit la nuque. Pourtant tout est calme. C'est un souvenir radieux d'une jeunesse perdue à écouter le silence qui meurt comme le temps passe.

 ***

 J'écris d'une aire d'autoroute. J'ai souvent roulé chargé d'émotion dans des paysages déserts. Le retour des aoutiens perturbe la situation et me confronte à une intériorité proche du néant. Je suis cette fois le désert. Sec et sans larme. Un besoin immense de sérénité dans ce tumulte ambiant. Je ne suis pas capable de le quitter.

 ***

Je pense de plus en plus que j'envisage la vie comme une multitude de scènes successive. J'ai la sensation d'avoir une trajectoire très précise vers un objectif inconscient que je soupçonne mais dont je n'ai absolument aucune perception réelle. Vieillir c'est prendre conscience de cela. De prendre le risque de perdre cette candeur innocente qui était un guide jusqu'à présent et d'empoigner cet idéal instantané pour le plonger dans la réalité. C'est un risque pragmatique qui absorbe une part d'imaginaire. Mais peut-être pas d'imagination.

  

— LA GALERIE DES IMAGES ICI —

 

/// GOOD VIBES \\\

 

Images de future (l'album)— Suuns

Sparks — Moon Duo

Welcome To Japan — The Strokes

Instant Crush (feat. Julian Casablancas) — Daft Punk

Sleep With the Lights On — The Wanton Bishops

Down on Serpent Street — Poni Hoax

She Will — Savages

T.H.M. — Deerhunter

I'm Coming Out — Diana Ross

O Caminho do Bem — Tim Maia

Can You Handle It — Sharon Redd

Sleepwalker — Moon Duo

 

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Commentaires
JULIEN MIGNOT — PHOTOGRAPHE
  • Publie régulièrement dans les journaux tels que Libération, Vox Pop ou Le Monde. Photographie la musique, très souvent en version scène ou portrait, en résident à Pleyel ou en passant à la Cigale. Vous verrez surtout ici tout le reste...
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