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JULIEN MIGNOT — PHOTOGRAPHE
2 mai 2006

Droit à l'image

"Et le droit d'auteur alors ?" C'était dans une manifestations du mois d'avril. Un jeune homme juché au sommet d'un arrêt de bus proche de Nation à Paris qui s'adressait à un photographe le cadrant depuis la rue. A elle seule, cette phrase résume bien l'à priori qui règne dans l'imaginaire général du quidam français qui se confronte à l'objectif du photographe en pleine rue. Il s'agit d'une erreur de langage. En effet, il ne s'agit pas de "droit d'auteur". En danger actuellement d'ailleurs : "Le photojournalisme serait pris dans un paradoxe : l'image prend de plus en plus de place dans les journaux et les magazines alors même que le photoreporter serait menacé, dans son économie, son espace de publication, son statut, ses droits." Le Monde, 11 nov 2005. Cet article fait référence, entre autre, puisque la situation de la presse n'est pas des plus glorieuse depuis ces dernières années, la récente loi visant à limiter les droits des auteurs dans des circonstances particulières. Une pétition circule signée, entre autre, par William Klein, Raymond Depardon, ou encore Yann Arthus Bertrand. Mais la loi est déjà passée... Il ne s'agit pas "de droit d'auteur". Ce jeune homme depuis son promontoire, qui se préoccupait sans doute peu de ces problèmes de seconde zone pour le commun des mortel, évoquait le "droit à l'image". Et nous touchons là le fond du problème. Il faut bien distinguer deux aspects qui prévalent dans les croyances collectives, quand ce n'est pas le flou artistique qui fait la loi dans les esprits d'une large majorité d'entre nous. Je ne suis pas spécialiste de Droit. Je suis photographe. Et puis vivant, aussi. Alors je me permets quelques remarques parce que je persiste et signe à ne jamais faire signer la sacro-sainte autorisation. Néanmoins, quelques mises au point : Tout d'abord, le droit à l'image prend acte dès la diffusion de ladite image. La prise de vue dans le domaine public, et la rue en fait partie, est libre. En ce qui concerne les domaines privés une demande d'autorisation expresse du propriétaire est nécessaire. Autrement dit, on ne peut reprocher au photographe de faire des images dans la rue. Dans tous les cas, quand le sujet n'est pas la foule, mais bien d'une personne identifiable, une autorisation expresse de celle-ci est soit disant indispensable (quid de l'entente morale qui n'est pas vraiment encouragé par nos clients ?). Le droit à l'information et sa jurisprudence vont néanmoins dans le sens inverse s'il s'agit d'une personne de notoriété publique. Cette logique est franco-française. Les pays anglo-saxons en premier ainsi que les autres pays européens n'ont pas cette logique protectionniste outrancière qui sévit dans l'hexagone. Et c'est difficile de s'adapter. Il y a quelques temps, j'ai souhaité photographier un gala de rock acrobatique pour compléter ma collection d'images "backstage" entreprise à la fois dans la mode et dans la musique. La réponse était une quirielle de questions visant à connaître précisément l'utilisation et la destination des images. Une méfiance légitime, mais presque outrageuse, s'agissant d'enfants, je me sentais presque soupçonné de pédophilie. "Avoir une carte de presse est un sésame, faire des photos artistiques est plus suspicieux", me glissait l'organisateur, "il faudrait qu'on se connaisse...", ajoutait-il. A Barcelone, en reportage sur le quartier de Poble Nou, je suis rentré dans un théâtre "en poussant la porte" pendant la générale d'un gala de danse qui se tenait le soir même. Il s'agissait d'une école de danse du quartier avec des enfants, des adolescents. Personne ne m'a posé de question. Les organisateurs étaient ravi qu'un photographe soit présent, leur seule préoccupation était de savoir s'ils allaient pouvoir voir les images ensuite. C'est moi qui était gêné dans les loges quand les gamines se changeaient, ou bien quand leurs corps à l'échauffement dessinaient des arabesques évocatrices. Je craignais le regard des parents, des professeurs présents. Et comme personne ne semblait y prêter attention, j'ai fait des images sans me poser de questions. Pas une seule image de la série n'est vulgaire ou outrageante. Je n'ai fait que capter l'instant, et ce que ces scènes racontaient. Je ne me pose pas plus de questions dans les backstages de la haute couture parisienne quand je vois des gamines de 16 ans en string dans les cabines. On ne laisse pas faire la pudeur et la responsabilité ; c'est le paradoxe français. Je ne fais toujours pas signer d'autorisations. Je continue à essayer de faire les photos que j'ai envie de faire. Je continue à dire ce que j'ai envie de dire. Je persiste et signe l'acte de photographier en liberté, et je réclame mon intégrité et ma responsabilité quand je photographie mon quotidien. Parce que je ne photographie que ce que je peux voir. Et puis depuis ces quelques lignes, je suis allé voir l'exposition Willy Ronis qu'accueille l'Hôtel de Ville de Paris. J'avais les larmes aux yeux en me demandant qui pourra bien prétendre raconter la France d'aujourd'hui dans 30 ans ? Quel photographe contemporain nous fera croire en grand format que le monde était vide ? Ce seront les mêmes qui se plaindront : les nostalgiques qui emmènent leurs enfants par la main voir Doisneau ou Ronis en leur disant "t'as vu, c'était beau, la France, avant", ceux qui vous crachent sur l'objectif en lâchant "et le droit d'auteur alors ?". J'aime la Photographie dans toute la diversité qu'elle propose aujourd'hui. Tant que celle-ci reste accessible à l'humain. A porté de cœur en somme. Je me rappel juste de l'exposition de Simon Norfolk à Arles l'été 2005 pour justifier mon propos. Et puis du droit d 'auteur, il en reste quoi ? Puisque le conformisme de la presse est omniprésent. Puisqu'il faut brader ses images pour les vendre. Il en restera ce qu'il y a dans le cœur des photographes. S'ils ont encore des choses à dire, il y aura encore des images à faire. Faire de la photographie dans le but de vendre des images, c'est choisir la position de la victime dans un système consentit. La photographie, ça aide à comprendre le monde et par conséquent à se comprendre soi-même. Ca sert à rencontrer les gens. En faisant des photos, en leur faisant signer des décharges autorisantes, en exposant des scènes interdites. C'est un prétexte. Si la photographie c'était autre chose, ça se saurait, allons...
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Commentaires
C
et oui, un mot résume bien ce que je pense de cet article : BRAVO<br /> <br /> Je suis d'ailleurs surpris qu'il n'y ait pas d'autres commentaires !?!<br /> Moi aussi j'ai vécu les "Et le droit d'auteur alors ?" venant de personnes n'ayant retenues que le fait que des procés avaient fait gagner de l'argent à certains plaignants !<br /> et c'est aux mêmes personnes qu'il faut rappeler qu'utiliser une photo prise par quelqu'un d'autre sans lui demander son accord ne se fait pas...
JULIEN MIGNOT — PHOTOGRAPHE
  • Publie régulièrement dans les journaux tels que Libération, Vox Pop ou Le Monde. Photographie la musique, très souvent en version scène ou portrait, en résident à Pleyel ou en passant à la Cigale. Vous verrez surtout ici tout le reste...
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