Réaction à une tribune sensiblement insensée
Voici quelques mois, Pascal Tarraire,
photographe que je connais bien, proposait une tribune douce, sensible
et emprunt d'une certaine philosophie sur le passage de l'argentique au numérique
dans le magazine Réponses Photo (n°174, sept. 2006).
Des
mots doux. Mais, moi qui fait de l'œil à la photo depuis un moment et
qui ne distingue pas l'argentique du numérique, cela m'ennuie. Je ne
suis pas un mec facile en ce qui concerne ces miévreries qui ne
proposent et n'avancent rien, témoignent d'un constat accablant,
certes, mais qui ne justifie en rien que nous allons tous devenir des
poètes - en herbe - maudits. Ma réponse :
"Comme
une goutte de pluie sur l'onde, je fais des ronds. C'est moins
éprouvant que de tourner, embrassant l'air environnant du bout des
lèvres pour prononcer des mots sans sons. Voilà une phrase qui ne sert
à rien.
Nous sommes en 2006 et je ne comprends toujours pas :
comment fait-on, aujourd'hui, dans un monde aussi gourmand en énergie,
dont seule la créativité surpasse l'inertie, pour passer son temps à
essayer de délimiter deux mondes, celui des bons et des méchants, celui
des amateurs et des professionnels, des passionnés tranquilles et des
coups d'œil pressés ?
L'argentique je suis contre, tout contre
(comme Guitry parlait des femmes). Parce que je l'ai à fleur de peau.
Parce que c'est mon outil. Parce que mon appareil est mon compagnon.
Qu'on se comprend. Parce que mon film a quelque chose à voir avec mon
sujet (je parle de ce qui est dans le viseur), et mon sujet quelque
chose à voir avec mon film. Une sorte de dialogue implicite,
épidermique.
Beaucoup de confrères utilisent du matériel numérique
simplement parce qu'ils en ont besoin ; l'appareil photographique
répond à leurs besoins, il est utile. Il est au service, le plus
efficacement possible, de l'œil de celui qui photographie. C'est le
regard qui compte. Et si on préfère faire des images en numériques,
très bien, soit. Certains s'en servent même bien et ont enfin oublié ce
- déjà - vieux reflex qui consiste à prendre une photo et l'éditer
aussitôt sur un écran de 2", n'ayant même pas la chance de rater dans
le viseur le bon instant qui leur passe sous le front (puisqu'ils
avaient le nez penché!).
L'invention d'Oskar Barnack a tout
changé, le 35 mm devenait standard, et la plaque de verre
disparaissait. Notre moyen d'expression a un peu plus d'un siècle et
demi et n'en est pas à sa première révolution, même si nous sommes loin
d'en avoir fait le tour.
L'évolution technique, une fois passé
l'effet bluffant de la nouveauté, entraîne la création. Elle devient
moteur. Nous tremblons tous quand les labos annoncent leur fermetures ;
soit, tremblons... moi je sors faire quelques images, j'ai encore des
films plein mon sac et des images plein la tête. Nous ne savons pas
nous rassurer, parce que nous ne voulons pas nous rassurer. Si la
photographie est notre raison de vivre, nous continuerons à faire des
photos, peut-importe le moyen.
La photographie c'est l'instant, le cadre, la lumière. Et ni le temps ni l'espace ne sont prêts à disparaître sans nous.
Quand
je le numérique m'ira bien, comme un gant, quand il déclenchera vite,
comme j'aime et que mon grain de tri-X ou de 320-T ne me manquera plus,
je changerai peut-être de boîtier, et laisserai tomber mes planches
contact. Sans regret, je m'adapterai, si mon travail y gagne. Mon
regard, lui, reste le même.
Enfin, ce ne sont pas les sels
d'argents qui ont rendu la photographie poétique, ce sont ces poètes
qui photographiaient. Et si le monde va trop vite aujourd'hui, moi je
crois encore à l'éternité de certains instants pour le suspendre un
moment.“
Tribune de Pascal-Réponses Photo