UNE JOURNEE A CHRISTIANA, COPENHAGUE, DANEMARK
Ma journée à Christiana devait être simple, calme et tranquille. Le but était de photographier les gens chez eux. En effet dans un univers de débrouille à base de bric et de broc, je trouvais intéressant de ressituer les habitants de cette île hippie dans leur propre univers. Curieusement, une démarche communautaire exacerbe les personnalités, et comme chacun customise son habitat à son image le parallèle était évident.
Christiana est à une encablée du centre historique de Copenhague, si proche. Rien ne semble coller pourtant en terme social avec leurs concitoyens. On qualifierait les Christianiens de doux dingues. Ils ne font pas de vagues tant qu'on les laisse tranquille et ils participent à développer une certaine image plus Rock and Roll que la capitale qui semble ronronner, enmitouflée dans un quotidien bien huilé.
Quand je suis arrivé sur place, une "demo" était prévue. On parlait "demo" et "cops" autour de moi. Je ne voyais pas bien quelle pouvait être la démonstration proposée en compagnie de la police. En fait, une "demo" c'est une manifestation. La police avait rasé un étage, soi-disant illégal, d'une maison et embarqué deux caravannes la nuit-même. Par représaille, le conseil, c'est-à-dire tous les résidents de Christiana, a décidé de faire entendre la voix de la communauté menacée aux Danois. L'enjeu est de taille puisque la spéculation va bon train et que les accords historiques tacites entre les squateurs et la commune socialiste s'émoussent au profit de la manne financière immobilière que représente 50 ha situés sur l'autre rive du canal en face du centre-ville.
Les Christianiens ne sont pas tous des enfants de cœur et synthétisent une certaine aversion pour le pouvoir. Etant donné le nombre de RoboCops au mètre carré, je me doutais que la journée serait sans doute plus Rock'n'Roll que prévue.
Donc en route pour la manifestation, dans une belle ambiance joyeuse, fumante de bon matin, il n'en reste pas moins que nous sommes fort bien entourés : la police bloc l'accès au centre sur chaque pont.
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Peu de médias sont présents : l'AFP, deux journaux locaux et Tanja, la représentante fluo de TV Christiana, micro-fleur et casquette pour afficher la décontraction et taquiner la patience des policiers. Christiana n'intéresse pas les Danois, d'après des manifestants, l'intérêt individuel et le niveau de vie du Danois moyen l'assoit dans une ignorance volontaire de ce qui sort de ses limites conventionnelles. Je remarque simplement qu'il n'y a pas de TV nationale et le journaliste de l'AFP me confie que personne ne relayera au niveau national.
Au delà du jugement, je me demande simplement pourquoi ? Réponse : le gouvernement n'a pas envie d'assimiler ces hippies mondialement connus à une culture danoise très aseptisée.
Le long des berges de Christiana, on aperçoit en face, de l'autre côté du canal, une marina pour CSP+ et les bateaux qui vont avec. Contraste. Nous sommes accueillis, de retour des manifestations mâtinales, par un Christianien amateur de corne de brume. Ambiance.
Le cortège s'est étiolé depuis que nous remontons le long du canal. Nous longeons la communauté et beaucoup de manifestants ont retrouvé leurs pénates. J'ai rencontré des français et des espagnols, les victimes de la rafle de caravane nocturne. Ils me montrent le site en question. Nous nous dirigeons ensuite sur le site de la maison démolie dans la nuit. Nous ne sommes plus qu'une vingtaine.
La maison donne sur un des nombreux étangs du secteur. Plutôt paisible. Sitôt arrivés des volontaires entament la reconstruction du deuxième étage et font sauter le cadenas posé le matin même : les soit disant propriétaires sont à la rue pour l'instant.
Autour c'est le calme absolu. J'en profite pour rencontrer quelques résidents et poser des questions sur la situation du point de vue d'habitués du secteur.
(de gauche à droite, de bas en haut)
Alexandre a aidé à l'embellissement extérieur de la maison détruite : il est français et fait la route depuis pas mal de temps. Il aimerait bien vivre ici un temps en continuant à faire profiter de ses talents de touche à tout astucieux du bâtiment. Échange de bon procédé pour gagner le gite et le couvert.
Dennis et Tanja sont les trublions de la communauté, à l'origine de TV Christiana, diffusée sur le satellite. Des reportages plutôt orientés culture au quotidien, en ce moment on vire dans le social. Mais TV Christiana interesse surtout les Christianiens...
Alexandre (à droite) et son compatriote Lars se sont retrouvés sans caravanne. Alexandre squaté la deuxième caravanne qu'un ami de Lars avait déposé sur son terrain. Parti en gauguette, Alexandre en profitait pour dormir au chaud. Ses affaires sont partis avec le logis. Sous scellés pour enquête, il ne savait pas s'il allait pouvoir les récupérer.
Rita ne vie pas à Christiana mais elle y a presque tous ses amis. Elle aime passer son temps ici et elle ne comprend pas l'agressivité de la commune. "Copenhague ne serait plus pareil sans Christiana," me confie-t-elle.
Entre temps, les policiers ont repéré le manège sur le toit depuis leur hélicoptère qui ne nous a pas quitté depuis le début de la mâtinée. Ils interviennent en encerclant la maison, évacuant les manutentionnaires qui œuvraient sur place, puis les journalistes, nous maintenant à bonne distance de caméra. Au même moment et à l'autre bout du domaine ils bloquent les sorties en filtrant les groupes. Le but est clair : éviter une manifestation bis et nocturne qui dégénérerait à coup sûr.
16 h. Bien entendu, les portables sont sur écoute. Les christianiens mettent à profits le meilleur moyen de diffusion de l'information, étant donné que nous étions tous retenus à l'intérieur : le bouche à oreille. Ainsi la communauté propose de bloquer un pont plus important que le matin : rendez-vous pris à 17h le soir même sur le dit pont. Tout le monde s'échappe au compte goutte par groupe de un, tandis que Tanja provoque toujours les policiers qui nous bloque l'entrée de l'Union Européenne comme l'indique le fronton à l'entrée de Christiana.
16h50. Nous arrivons les us après les autres sur le pont, de part et d'autre. La police veille depuis l'hélicoptère : deux camions de CRS sont déjà sur place. L'action devra être rapide et bien coordonnée pour avoir une chance de fonctionner.
Le blocage a duré trente minutes. Et ce fut la course aux lacrimos, riposte aux jets de pierres qu'une délégation moins pacifiste catapultait de sous le pont sur le cordon de police. Les CRS ont d'abord assuré la circulation, puis évacué le gros des manifestants sur un côté, le long de la balustrade, avant de veiller à leur évacuation direction Christiana. Le but avoué était de créer une diversion pour investir le Hilton, toucher les affairistes et les touristes, la police a anticipée.
Des combats de rue ont éclatés et se sont poursuivis jusque tard dans la nuit. L'hélicoptère, obligé d'abaisser son altitude pour éclairer le théâtre des affrontement au sol était pris d'assaut par des feux d'artifices et des fusées de détresse. Il y a eu 15 blessés et deux interpellations du côté des christianiens, 2 policiers blessés. Le lendemain, les tabloïds qui dégnaient relater l'événement penchaient pour la diabolisation de ces hippies pas si peace and love.
J'ai pris le parti de témoigner des revendications de ces doux dingues qui filent l'idéal de résister à la spéculation galopante. Je n'estime pas prendre parti. Je ne connais pas les tenants et les aboutissants ni le contexte politique qui président à cette situation. Je sais simplement qu'ils ont quelque chose à dire et je crois qu'il est important de leur donner une chance supplémentaire d'être entendus. Cette entreprise a sûrement beaucoup de défaut, comme la plupart des modèles de société, mais il a le mérite d'exister, il représente l'idéal de certains. Si la seule oposition valable c'est la perte d'espace viable, cette situation est révoltante.